Bien que les sujets de conversation tournent essentiellement aujourd’hui autour de la covid et du plan vigipirate, persiste dans l’établissement scolaire dans lequel je travaille, un sujet qui ne se démode jamais : que fait-on des filles qui viennent avec des jupes jugées trop courtes ? En réponse à cela, certains collègues se plaisent à rêver d’un uniforme qui effacerait tous les problèmes. Je ne peux m’empêcher de n’être pas certaine du résultat. En ayant parfaitement conscience que ma réflexion se base uniquement sur des observations personnelles dans deux pays où l’uniforme est de vigueur (l’Écosse et l’Angleterre), je me permets d’émettre des doutes. Pour qu’une autre voix que la mienne se joigne à cette réflexion, j’ai ajouté également l’avis d’un professeur dans le secondaire en Angleterre, mon ami Jérôme.

Par Louise

L’uniforme, ça reste une jupe…

On a souvent en tête les uniformes que l’on nous a montré en cours d’anglais, ceux des reportages télévisuels, tirés à quatre épingles, bien propres et neufs. Si cette image n’est pas totalement inventée, elle n’est pas non plus une réalité pour tous. Sur le terrain, les uniformes doivent s’adapter.

Pantalon et jupe obligatoires

Pour les garçons, les uniformes sont généralement composés, au Royaume-Uni du moins, d’un pantalon, d’une chemise, d’un gilet, d’une veste et d’une cravate. Le tout étant aux couleurs de l’école, avec des différences possibles pour refléter les niveaux. Pour les filles, c’est assez similaire, à part un élément : elles sont en jupe. En effet, pour les uniformes qui comprennent un bas et un haut imposés, il n’est pas rare que la seule option pour les filles soit le port de la jupe (et que la seule option pour les garçons reste le pantalon, même au pays des kilts). Jérôme a dû côtoyer cinq écoles secondaires pour en trouver une où l’on permet aux jeunes filles de porter un legging.

Pour les établissements scolaires qui accueillent un public modeste, l’uniforme se compose habituellement d’une veste, d’une chemise et d’une cravate. Ensuite, libre à eux de porter ce qu’ils veulent, tant que cela reste dans le cadre des consignes de couleurs de l’établissement (en général, le noir). Les filles sont alors libres de porter les jupes de la longueur qu’elles veulent. Même avec cet uniforme, on peut encore voir les cuisses et les soutiens-gorges qui font hurler certains.

Dans ces conditions, il apparaît que l’uniforme ne résout pas tous les soucis. À moins peut-être qu’il soit composé d’un pantalon pour les filles également.

Un réel effacement des différences genrées ?

Uniforme à l'écoleChristine Bard, historienne française spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, estime que le vêtement a trois fonctions: la parure, la pudeur et la protection. Si c’est la pudeur qui nous a amené à réfléchir sur l’uniforme, il est intéressant de regarder ces différentes fonctions d’un point de vue genré.

Il semble que dans la plupart des établissements qui mettent en place un uniforme, il reste encore possible pour les jeunes filles d’agrémenter leur tenue avec des parures. Vernis à ongle, bijoux, maquillage, sac à main… Les plus petites portent souvent des couettes avec des nœuds aux couleurs de l’établissement.

C’est surtout pour les garçons que l’uniforme se place comme un frein à la parure. Il ne leur reste que les sacs. Remarquons que parfois les accessoires cités plus hauts sont également interdits ce qui réduit le choix de parure à néant pour le tout monde. Ce choix peut être tellement restreint par les établissements qu’il concerne aussi la coiffure. On ne parle pas ici de coloration ou de motifs sur crâne rasé : les jeunes filles doivent impérativement porter un chignon.

Pudeur et protection sont-elles compatibles avec la jupe ?

Pour ce qui est de la protection, les jeunes filles sont clairement défavorisées à cause de la jupe. Ces dernières sont nettement plus froides que les pantalons, surtout dans les établissements qui ne permettent pas le port de collant et obligent les jeunes filles à se balader jambes nues tout l’hiver.

Au sujet de la pudeur, nous avons vu que le port de la jupe, c’est justement ce que la France trouve souvent impudique.

Il n’est pas question de la longueur ici, car lorsque la jupe est choisie par l’établissement, elle est souvent longue. Elle est clairement moins confortable que le pantalon, surtout par grand vent (c’est à dire très souvent au Royaume-Uni). Mais la jupe n’est pas le seul élément qui peut poser problème vis-à-vis de la pudeur. Lorsque le modèle est le même pour les filles et les garçons, les chemises sont sans pince, ne laissant pas de place à la poitrine des jeunes filles.

Plus de pudeur lorsqu’entre les boutons, on voit la peau. Cet élément n’est pas imputable à l’uniforme en tant que tel mais à un type d’uniforme. Mais l’autre problème de la chemise blanche, c’est la transparence qui rend difficile la dissimulation du soutien-gorge. Si on résume, jupe qui vole et soutien-gorge apparent ? Mais n’est-ce pas justement ce qui dérange ceux qui voudraient imposer l’uniforme ?

L’uniforme sous conditions

Que l’on ne s’y trompe pas, je suis plutôt favorable au port de l’uniforme (sous certaines conditions). Je ne pense cependant pas qu’il soit une réponse aux débats sur les tenues qui doivent être portées dans un établissement scolaire, surtout quand il ne sert d’argument que pour limiter les tenues des filles. D’ailleurs, les propos tenus plus haut se basent sur les uniformes du Royaume-Uni uniquement.

En Inde, l’uniforme est également de rigueur, mais les robes à petits carreaux des enfants n’ont rien à voir avec l’image que nous nous faisons d’un uniforme en Europe.

La réflexion reste donc ouverte. Ce que l’on ne peut retirer au port de l’uniforme pour les jeunes filles, c’est qu’avec des tenues « validées » en amont, elles ne seront plus confrontées à des humiliations, des interdictions de rentrer dans l’établissement, des calculs de longueur de jupe devant leur classe, ou des t-shirts ou blouses de la honte. De plus, si l’uniforme est pensé pour correspondre aux morphologies de chacun en assurant pour tous et toutes protection et pudeur, sans distinction de genre, il serait dommage de ne pas creuser l’idée.

À propos de l’autrice

Autoentrepreneuse en rédaction, Louise est experte en langue française et bientôt doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication sur un sujet lié aux études de genre.

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