Le samedi 27 juin dernier aurait dû marquer le jour de la Marche des Fiertés LGBTQI+  à Paris, venant traditionnellement clôturer tout un mois à célébrer la communauté LGBTQI+ (Lesbienne – Gay – Bi – Trans – Queer – Intersexe) au sens large. Repoussé par le Covid-19, l’évènement aurait donc dû avoir lieu samedi 7 novembre dernier. Malheureusement, la dégradation de la situation sanitaire en a décidé autrement. Pour autant, la Marche des Fiertés et le mouvement LGBTQI+ n’en restent pas moins essentiels dans la lutte en faveur de l’égalité des droits. Une lutte qui a souvent fait écho à celle menée par les féministes et avec laquelle elle entretient, aujourd’hui encore, une relation parfois conflictuelle. Luttes féministes et LGBTQI+ : même combat ?

Par Violaine Cherrier

Pourquoi définit-on le mois de juin comme le « mois des fiertés » ? Pourquoi la communauté LGBTQI+ bénéficie-t-elle d’une « telle visibilité » et pas les autres, à commencer par les femmes qui doivent « se contenter » d’une seule Journée internationale en faveur de leurs droits (le 8 mars de chaque année) ? À l’image de nombreuses luttes en faveur de l’égalité des droits dans le monde, les années 60 ont été un déclencheur et les années 70 un accélérateur. Un peu d’histoire. 

Être une femme LGBTQI+ libérée, tu sais, c’est pas si facile… 

C’est dans les années 60 que les luttes en faveur des droits civiques prennent une toute autre ampleur, qu’il s’agisse des droits des femmes, des droits des personnes de couleurs ou des droits des homosexuel.les. Comme l’explique Clémence Zamora-Cruz, Porte-parole de l’Inter-LGBT (Interassociative Lesbienne, Gaie, Bi et Trans) et militante pour les droits des personnes transgenre :

« Dans les années 60, un peu partout dans le monde, il y a eu des mouvement en faveur des droits civiques, c’est-à-dire ceux qui protègent les droits fondamentaux des citoyen.ne.s et qui les protègent aussi contre le racisme. C’est en 1967 que l’on trouve pour la première fois le mot PRIDE associé à la lutte pour la reconnaissance et l’avancée des Droits pour les personnes LGBTQi+. En effet, 1967 – le Black Cat Tavern, dans le quartier de Silver Lake à Los Angeles – est perquisitionné le jour du nouvel an par 12 policiers en civil qui ont battu et arrêté des employés et des clients. Le raid a déclenché une série de manifestations qui ont commencé le 5 janvier 1967, organisées par P.R.I.D.E. (Droits personnels dans la défense et l’éducation). D’autres émeutes de la communauté LGBT ont eu lieu dans les années 60. »

Mais l’histoire retiendra les émeutes de Stonewall comme le point de départ pour la lutte pour la reconnaissance des droits persones les personnes LGBTQI+.

C’est dans la nuit du 28 au 29 juin 1969 à New York que tout (ou presque) commence, plus exactement au Stonewall Inn, un bar gay situé dans le quartier de Greenwich Village.

Lors d’une énième descente de police, les clients du bar – principalement des personnes transgenres, des travestis, des prostitués et des jeunes sans-abri – se rebellent donnant lieu à plusieurs jours de tension.

Stormé DeLarverie, une drag king lesbienne, est ainsi reconnue comme celle ayant “lancé le mouvement” de rébellion après avoir été blessée à la tête par un policier. Une femme transgenre, Sylvia Rivera, a alors lancé la première bouteille sur la police. Dès lors, les émeutes ont duré toute la nuit. Une autre femme transgenre, Marsha P. Johnson, s’est notamment illustrée par des jets de briques sur les pare-brise des voitures de police.

Les émeutes de Stonewall ou l’affirmation du mouvement LGBTQI+

Ce qu’on appelle désormais les « émeutes » de Stonewall marquent surtout l’apparition du mouvement homosexuel. Dès lors, de vastes communautés gays voient le jour dans les plus grandes villes américaines dont Les émeutes de Stonewall juin 1969la plus connue, à San Francisco. L’année suivante, le 28 juin 1970 avait lieu à New York la première Marche des Fiertés, alors appelée la Christopher Street Liberation Parade puis la Gay Pride, à l’occasion du 1er anniversaire des émeutes. Depuis, chaque année en juin, des marches ont lieu aux quatre coins du monde lors du « Pride Month ». 

Quasiment à la même époque, le féminisme prend une toute autre ampleur avec, entre autres, la « bataille » livrée par les féministes américaines à partir de 1972 pour la ratification de l’Equal Rights Amendment (ERA). En France, si la communauté LGBT est plus « discrète » à cette époque, les femmes en revanche font entendre leur voix et surtout leurs droits. Après le droit de vote (1944) et la possibilité d’exercer une profession et d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur mari (1965), elles obtiennent (en théorie) l’égalité salariale en 1972 et surtout le droit à l’avortement en 1974. 

Il faudra en revanche attendre 1982 pour que l’homosexualité soit enfin dépénalisée dans l’hexagone et 2013 pour que le mariage pour tous soit adopté. La loi bioéthique en faveur de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires devrait (enfin) être examiné en juillet 2020.

L’histoire de l’égalité des droits LGBTQI+ en quelques dates clés

2020

  • Le projet de loi bioéthique prévoyant la PMA pour toutes devrait être examiné à l’Assemblée Nationale en juillet et en 2e lecture au Sénat en octobre. 
  • 1er mariage entre personnes de même sexe au Costa Rica faisant de ce pays d’Amérique latine le 29e au monde à légaliser le mariage pour tous.

2019 

  • L’OMS retire la transidentité de la classification des troubles mentaux.

2016

  • Droit de changer de sexe dans l’États civil.
  • Signature par la France de l’Appel à l’action contre la violence homophobe et transphobe dans l’éducation, proposée sous l’égide de l’UNESCO. 

2015

  • Le mariage homosexuel est reconnu juridiquement dans tous les États des États-Unis.

2013

  • Le mariage pour tous est adopté. La France devient le 14e pays au monde – et le 9e pays européen – à prendre une telle mesure.

2012

  • La loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel et la transphobie, et la discrimination fondée sur l’identité sexuelle et liée au sexe. Désormais, les propos injurieux et diffamatoires à caractère transphobe sont punis par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

2010

  • La France est le 1er pays au monde à retirer « le transsexualisme » et les « troubles précoces de l’identité de genre » de la liste des affections psychiatriques.

2008

  • La France condamnée par la Cour européenne pour discrimination, donnant raison à une Française dont l’agrément pour adopter un enfant avait été refusé en raison de son homosexualité. 

2006

  • L’autorité parentale déléguée à un homosexuel.

2005

  • La déportation des homosexuels reconnue.

2004

  • Les propos homophobes durement punis et Noël Mamère marie deux homosexuels.

2001

  • Les Pays-Bas sont le tout premier pays à légaliser le mariage entre personnes du même sexe.

1999

  • Les députés votent le Pacs.

1990

  • L’Organisation mondiale de la santé (OMS) raye l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

1982

  • L’homosexualité est dépénalisée.

1981

  • La France retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales. La “Gay Pride” de paris rassemble plus de 10 000 personnes.

1977

  • 1re “Gay Pride” française, sous forme d’une manifestation indépendante organisée à Paris à l’appel du Mouvement de libération des femmes (MLF) et du Groupe de libération homosexuelle (GLH).

1974 

  • La majorité pour les homosexuels passe à 18 ans.

1970

  • Christopher Street Liberation Parade, 1re « Gay Pride ».

1969

  • Les émeutes de Stonewall à New York. 

1968

  • Pour la France, être gay, c’est être malade.

1960

  • L’homosexualité intégrée à la liste des « fléaux sociaux » au même rang que l’alcoolisme, la toxicomanie, la prostitution ou le proxénétisme. 

1942

  • Vichy réinstitue la discrimination dans le droit.

1791 

  • L’homosexualité n’est plus un crime.

1750

  • Derniers condamnés à morts pour homosexualité.

Source : L’internaute

À noter qu’en 2020, dans le monde, 29 pays autorisent le mariage pour tous. En Europe, 11 pays autorisent déjà la PMA pour toutes. Mais les législations diffèrent énormément d’un pays à l’autre. De même, 9 pays européens sur 28 autorisent la gestation pour autrui (GPA). Elle est également autorisée (et ouverte aux étrangers) dans d’autres pays du monde tels que les États-Unis, la Russie, l’Ukraine, la Grèce, la Géorgie et le Canada. 

Féminisme et LGBTQI+ : mêmes droits, même combat ?

Luttes LGBTQI+ et féministes semblent donc étroitement liées dans l’histoire. Pourtant, la question reste complexe tant les lesbiennes semblent être longtemps restées les « oubliées » des luttes en faveur de l’égalité des droits, tant des droits des femmes que ceux des homosexuels. 

Car, en effet, l’histoire entre les deux communautés est loin d’être un long fleuve tranquille. Comme l’explique Guillaume Marche, professeur de civilisation américaine (voir bibliographie) :

« Parler du rapport que les mobilisations homosexuelles aux États-Unis entretiennent, depuis les années 1970, avec le féminisme de la deuxième vague revient souvent à poser la question de la concurrence ou de la complémentarité entre ces deux mouvements. La question du lesbianisme fut en effet le motif de maints débats, conflits et divisions au sein du mouvement féministe et la domination masculine reste très présente dans les mobilisations homosexuelles contemporaines. Mais mettre ainsi les deux mouvements simplement sur le même plan ne rend pas compte de l’apport de la pensée et de la mobilisation féministes pour le mouvement gai et lesbien. Cette influence déterminante ne peut se résumer à la question du lesbianisme militant, même si c’est un aspect tout à fait crucial de l’intersection entre les problématiques du genre et de la sexualité. »

Mrs AmericaLa (très bonne) série Mrs. America, diffusée récemment sur Canal+, montre très bien le débat qui a animé – et divisé – le mouvement féministe américain dans les années 70 sur la place à accorder aux lesbiennes. Certains féministes craignaient en effet la « facile » assimilation qui pouvait être faite, par les antiféministes notamment, entre militantes en faveur de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, et les homosexuelles.

À tel point que certaines militantes féministes refusaient que soient inscrits dans leurs revendications l’égalité des droits en faveur de la communauté LGBT. 

Gay et féministe

En revanche, il n’est pas rare de trouver une réelle influence féministe au sein des mouvements gay, c’est-à-dire homosexuels masculins. En premier lieu, dans la dénonciation d’un modèle unique genré que la société tend à vouloir imposer et, à travers lui, celle de la cellule familiale traditionnelle. Ainsi, homosexuels et féministes rejetaient dès les années 60 le modèle familial et patriarcal classique : le mari au travail et la mère au foyer à s’occuper des enfants. 

On peut également dresser un parallèle entre l’épidémie de VIH subie par la communauté gaie dans les années 80 et le mouvement féministe pré-1974. Plus exactement, on peut voir dans la mise en place d’un système informel de soins médicaux dédiés aux hommes atteints du sida (afin d’éviter la stigmatisation de l’homosexualité et la discrimination dont ils étaient victimes dans le système classique), une référence aux centres d’avortement clandestins ou de planning familial non autorisés dans lesquels les femmes pouvaient se rendre avant notamment la légalisation de la contraception et de l’avortement. 

De même, si la communauté LGBTQI+ a longtemps été tiraillée entre de nombreux mouvements antagonistes, les femmes et les lesbiennes se sont fortement mobilisées pour aider leurs « frères » gays durement touchés par la pandémie mais aussi (et surtout) par la violente vague d’homophobie dont ils ont été victimes.

En ce sens, les luttes contre les discriminations homophobes et sexistes se rejoignent dès qu’il s’agit de refuser le modèle de société actuel pensé et construit pour le mâle (blanc) supradominant.

Pour le meilleur et pour le pire 

Dès lors, se pose inévitablement la question suivante : où en est-on en 2020 ? Et la réponse ne semble pas si facile. En effet, bien que le VIH soit toujours présent, les luttes ont changé. PACS, mariage pour tous et aujourd’hui PMA pour toutes. Un combat qui fait, une nouvelle fois, écho à celui des féministes en faveur de l’égalité des droits. 

En effet, la loi bioéthique ne concerne pas uniquement les couples lesbiens mais également les femmes célibataires. De plus, à défaut d’ouvrir la GPA en France, la question de la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger est également d’actualité.

Est-ce pour autant suffisant pour signifier la « réconciliation » entre mouvements féministes et LGBTQI+ ? Rien n’est moins sûr tant les divergences sont toujours présentes… voire violentes. 

Les trans sont-ils / elles les oublié.es (ou les invisibles) des questions LGBTQI+ et féministes ?

Le sujet de la GPA notamment divise profondément, plusieurs féministes reprochant alors aux homos de stigmatiser les femmes et de les réduire à leur simple rôle de reproductrice ou de vouloir monétiser leur corps. Mais force est de constater que le sujet divise jusqu’au sein même de l’inter-LGBT. Le fossé s’est creusé entre les militant.es de la première heure et les plus jeunes, plus ouvert.es sur les questions de GPA et de droits des personnes transgenre. 

Qui a oublié les propos transphobes de la célèbre autrice J.K. Rowling, mondialement connue pour être « la maman » d’Harry Potter, sur Twitter en juin dernier : 

Tweet transphobe de JK Rowling

Et de poursuivre quelques jours après sur son propre blog dans un billet dans lequel elle présentait alors ses raisons de s’inquiéter du nouveau militantisme trans. Elle se disait ainsi préoccupée par l’effet que le mouvement des droits des trans a sur l’éducation des enfants. Et d’ajouter : « Il est clair pour moi depuis un certain temps que le nouveau militantisme trans a un impact significatif sur de nombreuses causes que je soutiens, car il pousse à éroder la définition légale du sexe et à la remplacer par le genre ». 

Harry Potter lui-même, ou plus exactement l’acteur qui jouait son rôle à l’écran, Daniel Radcliffe, s’était ensuite exprimé pour affirmer son soutien aux personnes transgenre en citant entre autres le guide du projet Trevor pour être un allié des jeunes transgenres et non binaires

Bref, l’histoire entre les communautés LGBTQI+ et féministes est tout sauf un long fleuve tranquille. À chaque époque et à chaque génération, ses propres luttes et revendications. 

Pour plus d’informations

Lexique des termes LGBTQI+

Cisgenre, transgenre, LGBTQI+, etc. Pour tout comprendre des termes employés, consultez le glossaire des termes LGBT sur le site RAINBOW – Rights Against INtolerance: Building an Open-minded World.

Consultez le lexique des termes LGBTQI+

Bibliographie

À propos de l’autrice

Violaine Cherrier est journaliste et content manager indépendante spécialisée dans le secteur IT. Blogueuse sur le sujet de l’égalité professionnelle, elle rédige sur ce sujet pour la presse écrite, et intervient dans des conférences. Elle est également engagée en faveur de la lutte contre les discriminations dans le sport, notamment en tant que bénévole pour le Tournoi International de Paris.

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Crédits photos

Clémence Zamora Cruz : Le Monde, 28 juin 2014 / Les émeutes de Stonewall : Challenges.fr, 25 juin 2018