Diffusées sur Netflix, deux séries documentaires intitulées Chef’s Table « street food » – l’une sur l’Asie, l’autre sur l’Amérique du Sud – explorent la gastronomie, simple et authentique, des bouis-bouis au travers des hommes et surtout des femmes qui la maintiennent bien vivante. Bien plus qu’une simple émission culinaire, les épisodes nous font découvrir des personnalités fortes et des parcours de vie inspirants.

Par Gilles Marchand

« La confiance nécessaire pour croire en soi n’apparaît pas comme ça, du jour au lendemain. Ça prend du temps. Chaque jour qui passe, il faut se réveiller plus fort que la veille, pour travailler, persévérer, car on des objectifs à remplir, des rêves à réaliser. Quels que soient les obstacles et les distractions qui se présentent à vous, il faut y croire. Si vous croyez en vous et en ce que vous faites, si vous avez confiance en vous, vous accomplirez de grandes choses et serez heureux pour toujours. »

De la persévérance

Née aux Caraïbes et élevée en Colombie, Luz Dary est l’une des figures emblématiques du marché de la Perseverancia, « ventre » vivant de Bogota. Sa double culture se retrouve dans les petits plats qu’elle mitonne tous les jours. Avec l’ensemble des tenanciers de stand du marché – des femmes, dans leur grande majorité –, et à force de travail, elle a réussi à faire revenir les locaux dans le marché pour découvrir la diversité de leur culture culinaire.

Des efforts payants ! En 2019, la Perseverancia a été nommée pour le prix de la meilleure cuisine de Bogota, et Luz Dary a remporté celui du meilleur ajiaco de la ville (une soupe de pommes de terre et poulet). Comme l’explique un client :

« Luz est devenue une sorte de référence pour tous ceux qui avaient besoin de se sentir fiers de notre culture et de retrouver de l’amour pour elle. On se retrouve tous dans ces femmes et leur diversité. »

Un amour de tortilla

Luz Dary, Chef’s Table « street food » NetflixLuz (sur la photo ici à gauche) et ses consœurs du marché sont aussi les héroïnes de l’un des épisodes de Chef’s Table « street food ». Une série documentaire qui valorise la gastronomie de rue, à travers ses acteurs et surtout ses actrices du quotidien.

Et au-delà des clichés sur la figure de la mère nourricière, elle met surtout à l’honneur de véritables guerrières qui, chacune à leur façon, nous donne une véritable leçon de vie, d’affirmation de soi et de réalisation de ses rêves – ou de victoire sur l’adversité.

Au marché central de Buenos Aires, « Las Chicas de Las Très », Pato et sa compagne Romi (en cover picture de cet article) ont fait de leur stand le théâtre de leur relation fusionnelle, avec pour spectateurs privilégiés les clients qui viennent de loin pour déguster leurs fameuses tortillas de pommes de terre, farcies au fromage et jambon ou aux légumes.

« Chaque démoulage me donne le sentiment d’être une rock-star », s’amuse Pato. Il y a dix ans, son boui-boui était toute sa vie mais elle était « toujours stressée ». Sa rencontre avec Romi, sur un terrain de football, a tout bouleversé, aussi bien dans la sphère privée, avec un coming out difficile à accepter par sa famille, que dans la sphère professionnelle.

« Romi m’a rejoint pour faire tourner le restaurant, mais les tensions étaient fortes au début, la rupture était proche. Il fallait que je défende ses volontés de changement, que je lui laisse la main pour gérer les commandes au comptoir et me consacrer à la cuisine. »

Une libération à tous les niveaux qui va favoriser sa créativité et aboutir à la mise au point de sa fameuse tortilla.

Le coup de pouce de la déesse de la mer

Si la cuisine brésilienne vous attire, ne manquez pas la rencontre avec Dona Suzana, figure de la gastronomie bahianaise à Salvador. Enfant, elle refuse de se faire opérer pour son bégaiement – « je suis née avec ce handicap et je mourrai avec ». Reconnaissant en riant avoir été une « jeune fille très effrontée, qui se battait souvent et semait le chaos », elle trouve alors de l’apaisement auprès de sa mère et devant les fourneaux.

Sa première expérience de cuisinière – son rêve inavoué – tourne au désastre : sollicitée par un chef de chantier pour nourrir la cinquantaine d’ouvriers qui réparaient les toitures du quartier, elle s’endette pour acheter casseroles, ustensiles et ingrédients, travaille sans relâche pendant des semaines… et ne sera jamais payée.

« Je voulais démarrer une nouvelle vie et finalement, j’ai eu la plus grosse déception de ma vie. Je ne voulais plus entendre parler de cuisine. »

Suzana va donc laver du linge pour rembourser ses dettes, tout en s’occupant de sa mère alitée après un AVC. Après toutes ses épreuves, il faut croire que Yemanja, la déesse de la mer, qu’elle prie tous les jours, l’a finalement entendue…

Sourire, aimer, danser et chanter

Dona Suzana, Chef’s Table « street food »En 2013, un collectif de graffeurs du quartier cherche une petite cantine pour déjeuner et demande à Suzana (sur la photo à droite) de cuisiner pour eux, en payant en amont. Devant leur insistance, elle accepte et envoie Antonio, son pêcheur de mari, lui ramener quelques poissons qu’elle transformera en soupe appelée moqueca : « La meilleure du monde », se rappellent ses premiers clients.

Mais la déception passée est encore brûlante. Julio, un des graffeurs, crée alors une pancarte à installer au fronton de sa maison, avec la mention « Ré-Restaurante », en référence à son bégaiement… « C’est à ce moment-là que j’ai eu l’impression d’être devenue une vraie cuisinière, que j’ai ressenti ce besoin profond de cuisiner à nouveau. »

Luz, Pato et Suzana : trois histoires parmi d’autres, toutes aussi touchantes et surtout inspirantes, dans lesquelles chaque cuisinière (ré)invente sa vie et affirme sa personnalité. Les portraits de la série dédiée à l’Asie valent également le détour. Chacun à sa manière est une leçon de vie au meilleur sens du terme, entre humilité et fierté, entre partage et développement personnel. Comme l’illustre Luz :

« Mon parcours a été très long et très lent. Un parcours avec des hauts et des bas, mais j’ai beaucoup appris, à m’accepter et à croire en mes rêves. Et par-dessus tout, j’ai appris à sourire, à aimer, à danser, à chanter. C’est ce que je suis. »

 

À propos de l’auteur

Neuropsychologue de formation, Gilles Marchand s’est ensuite tourné vers le journalisme, orientation « sciences cognitives », pour assouvir sa soif de comprendre l’être humain, ses forces, faiblesses et contradictions. Depuis quatre ans, il codirige Mediathena, agence de communication scientifique, qu’il a fondée avec son associée Diane – nommée présidente à l’unanimité des deux voix !

 

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