Archétypales, sociétales, familiales ou personnelles… Les blessures des hommes, multiformes, peuvent tout autant altérer le rapport à soi qu’à l’autre, avec leur lot de comportements délétères vis-à-vis les femmes. En s’appuyant sur sa pratique clinique, Bernard Chaumeil, thérapeute, analyste et énergéticien, éclaire la mécanique à l’œuvre dans son livre « Tu seras un nouvel homme mon fils ! Se libérer des injonctions qui pèsent sur l’identité masculine » (Secret d’étoiles, 2022). L’occasion d’aider les hommes à réconcilier leur masculin et leur féminin…

Par Gilles Marchand

Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux blessures intimes, aussi bien collectives qu’individuelles, vécues par les hommes ?

Parmi les éléments déclencheurs, je me souviens d’un échange avec un patient que j’ai aidé à revisiter son histoire de naissance, marquée par un risque de décès. Chaque projet d’entrepreneuriat qu’il menait déclenchait chez lui de la panique, de l’angoisse. Il lui fallait se libérer de ce traumatisme pour aller vers une « naissance » (l’ouverture de restaurant) sans douleur. Mais aussi se libérer d’injonctions très présentes chez lui, dans son fonctionnement : sois fort ! Ne sois pas sensible ! Des injonctions d’autant plus manifestes qu’il a un physique puissant ; mais aussi la vulnérabilité d’un enfant, de la sensibilité, qui déstabilisent cette image virile et solide.

Or ce décalage, source de perturbations, n’est pas nécessairement un talon d’Achille : il peut devenir une force. C’est cette conviction, appuyée par ma pratique clinique, qui a nourri ma réflexion. Par ces rencontres, j’ai pu constater la grande diversité d’injonctions. En écrivant mon précédent livre (« Se libérer de sa lignée et guérir son féminin. Les 39 clés de transformation »), qui était une commande de mon éditrice, et qui a été un travail passionnant, j’ai eu envie d’appliquer le même prisme – les blessures qui limitent notre accomplissement – aux hommes.

Se libérer d’injonctions très présentes dans son fonctionnement : sois fort ! Ne sois pas sensible !

Son titre, « Tu seras un nouvel homme mon fils ! », peut intriguer : qu’est-ce qui peut caractériser ce « nouvel homme » ?

Les hommes ont tendance à avoir certaines maladresses, des défauts qu’on leur attribue classiquement – manque de communication, de sensibilité, de prise en compte de l’autre, etc. Ils s’expliquent par des blessures, et non par un caractère propre à l’homme, une identité masculine figée. Il s’agit plutôt de « défauts » de construction, de réalisation de soi, certains entretenus à travers les siècles, dont les fondations s’inscrivent dans des croyances, des loyautés, un patriarcat institué et entretenu. L’homme est donc entaché de certaines malfaçons, de paramètres mal ficelés qui s’expriment sous forme d’injonctions subies.

Il aurait tout intérêt à exprimer une certaine imprévisibilité afin de sortir de ce déterminisme, de ces schémas. À amorcer un véritable changement dans son rapport à soi et à autrui. Je le constate d’ailleurs déjà dans la proportion d’hommes que je suis en thérapie, et qui augmente au fil des années.

Les hommes ont-ils davantage conscience aujourd’hui des multiples injonctions qui pèsent sur eux – et de leurs impacts sur eux et les autres ?

Ils sont davantage prêts à poser des questions et à entendre des éléments d’explication ; cela demande du sang-froid, du courage, mais aussi de la finesse d’interprétation, de la remise en question, de la tempérance. Ceux qui s’engagent dans cette démarche ont l’audace d’entrer dans une forme de vulnérabilité, au lieu de rejeter les « discours de psy » qui prennent en compte le scénario global – corps, émotions, mental – et les comportements associés.

Ce changement, je commence à le constater en France comme en Algérie – où je travaille régulièrement –, un pays marqué par une image masculine et un patriarcat encore très puissants.

Certaines blessures sont archétypales, donc largement inconscientes : sont-elles plus difficiles à réparer que les autres formes de blessure ?

Les blessures sociétales et archétypales sont plus fines et subtiles, elles ne reposent pas sur une mémoire consciente. Les premières présentent une dimension culturelle, morale, éducative ou religieuse, et sont donc associées à des loyautés dont on peut avoir du mal à s’extraire. Les secondes induisent l’idée de répétition à travers le temps, dont les lignées transgénérationnelles mais pas uniquement.

Il y a là une mémoire « transpersonnelle » qui peut nourrir un certain schéma au sein de la lignée. Les blessures archétypales impliquent de considérer des expériences humaines dans leur globalité, des formes de pensée collectives universelles – que j’aborde sous forme de problématiques et de ressources dans la thérapie archétypale que j’ai conçue.

Par exemple, l’indifférence versus la reconnaissance, l’incapacité versus le pouvoir… On peut les repérer au travers des expériences de vie, des comportements au travail, dans la relation humaine, qui s’expriment de manière répétée, renouvelée, et entretiennent la problématique. J’ai identifié 22 problématiques et autant de ressources, traduites dans des jeux de rôles, que j’utilise comme grille de compréhension.

Vous expliquez que ce nouvel homme pourra être libre d’être « tout à sa foi » dans son masculin et dans son féminin : en quoi cette réconciliation est-elle importante ? Peut-elle contribuer à la fibre féministe des hommes ?

Cette réconciliation de nos deux identités est loin d’être achevée, on en est plutôt à une forme d’éveil. Elle nous dépasse d’une certaine manière, mais se concrétise peu à peu. Nous devons renouer avec le mythe de notre origine : contrairement à une interprétation largement répandue, Ève n’a pas été conçue à partir de la côte d’Adam, mais côte-à-côte avec lui ; soit la séparation de l’être originel et de son plein potentiel.

Le changement doit nous ramener à embrasser l’ensemble des qualités soi-disant féminines et masculines, à se les approprier.

J’ai le sentiment que, dans l’ensemble, les femmes sont déjà engagées dans cette dynamique ; il est temps que les hommes rejoignent le mouvement, afin que le masculin et le féminin retrouvent des valeurs communes. Le nouvel homme, je ne l’espère pas plus féministe que masculiniste, mais humaniste – et en capacité de transformer positivement l’Humanité.

  • Si ce sujet vous intéresse, nous vous conseillons de visionner sur Arte “Boys boys boys”, une websérie animée qui s’intéresse à la déconstruction des stéréotypes masculins.

 

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