Ce n’est pas une Française mais bien deux qui ont reçu le prix Nobel de littérature. La prestigieuse récompense obtenue par Annie Ernaux est l’occasion de mettre en lumière Maryse Condé, récipiendaire en 2018 d’un prix Nobel alternatif.

Par Valérie Mastrangelo

Le 19 octobre dernier, l’émission littéraire La Grande Librairie a été entièrement consacrée au Prix Nobel de littérature Annie Ernaux. Depuis l’annonce de cette belle nouvelle, toute la presse, les médias et les réseaux sociaux en parlent.

C’est mérité, archi-mérité ! N’est pas Nobel qui veut ! Non seulement son œuvre – près d’une vingtaine de livres – est remarquable, mais c’est aussi la première femme française à recevoir cette récompense internationale, Graal pour tout écrivain.

La première femme, vraiment ? Oui… et non. Oui, car Annie Ernaux est bien la première autrice de notre pays à entrer au panthéon du prix Nobel officiel. Non, parce qu’en 2018, l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé a reçu le Nobel « alternatif » de littérature.

En effet, cette année-là, le prix n’a pas pu être décerné du fait de la condamnation pour viol du mari de l’une des académiciennes. Une « Nouvelle Académie » a donc été créée, décernant son « nouveau prix de littérature » à celle qui a souvent été pressentie pour le Nobel.

L’expérience personnelle pour nourrir le récit

Parmi les lecteurs qui ne sont ni Antillais, ni féministes, qui a déjà entendu parler de Maryse Condé ? De son œuvre ? De son Nobel ? Peu de personnes, trop peu pour une grande autrice française.

Alors qui est-elle ? Décrire son œuvre en quelques lignes ici serait trop réducteur, et j’en serai bien incapable, surtout que Maryse Condé compte une trentaine de livres à son actif.

Cependant, on peut en dire quelques mots afin de vous donner envie de la découvrir. Pour créer les intrigues de ses romans, Maryse Condé part toujours de son expérience personnelle de femme noire, aux Antilles – là où elle est née –, en Afrique – là où elle a vécu pendant plusieurs années – et en métropole, là où elle a étudié et où elle vit actuellement.

Ce « mode opératoire » n’est pas sans rappeler celui d’Annie Ernaux, qui s’appuie également sur l’intime pour composer une œuvre. Tout au long de leurs livres on peut percevoir l’expression de ce sentiment sournois et douloureux, que toute femme a ressenti un jour : celui d’être considérée comme un être humain de seconde catégorie.

Par exemple quand Annie Ernaux nous raconte, dans La Femme gelée, qu’en se mariant, elle est devenue « La femme de ». Ou encore avec Maryse Condé qui, dans Moi, Tituba sorcière…, ne peut être plus explicite en faisant appel à cette figure mise au ban de la société.

Une figure incontournable de la créolité

Maryse Condé aborde aussi les sujets de l’exil, de la diaspora, et elle est devenue l’une des principales ambassadrices de la créolité. En effet, à son retour en Guadeloupe après avoir vécu en métropole et en Afrique, elle invente une écriture en utilisant dans ses textes la langue créole, avec un nouveau lexique, de nouvelles représentations, des expressions antillaises, une nouvelle syntaxe. Elle a ouvert une nouvelle fenêtre sur un champ des possibles infini.

Aujourd’hui c’est une femme âgée, qui avec le temps est devenue plus qu’une écrivaine. Par ailleurs, les Guadeloupéens disent d’elle, en créole, que c’est une femme « potomitante ». Comme le poteau central qui soutient une maison, Maryse Condé soutient la culture créole. Alors vive Maryse et vive Annie !

Post-scriptum : Une autre autrice française fait également l’actualité. L’Académie Goncourt a décerné son prestigieux prix à Brigitte Giraud pour son livre Vivre vite (Flammarion). Elle devient, en 2022, la treizième femme à obtenir la récompense en 120 ans…

© Philippe Matsas/Opale/Editions Robert Laffont

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