Mariama Bâ est une des pionnières de la littérature sénégalaise. Née en 1929 à Dakar, où elle décèdera en 1981, à cinquante-deux ans, d’un cancer, elle est à l’origine de deux romans, Une si longue lettre et Un chant écarlate, vibrants plaidoyers féministes dans lesquels elle s’attaque à la polygamie, et à l’invisibilisation des femmes au sein de la culture africaine.

Par Sarah Sauquet

Un chant écarlate fut publié à titre posthume, juste après son décès, mais son premier roman, Une si longue lettre, publié deux années auparavant, eut un retentissement important en Afrique comme dans le monde entier.

L’élévation par le savoir

Le roman se présente sous la forme d’une lettre, une lettre que Ramatoulaye, devenue veuve, adresse à sa meilleure amie, et dans laquelle elle dresse le bilan d’une vie d’abord synonyme d’émancipation et de liberté, et ayant basculé dans l’obscurité et le chagrin.

Ramatoulaye, sénégalaise et musulmane, est une femme aux idées progressistes ayant eu la chance de croiser sur sa route, lors de ses études, une femme blanche à l’origine de son « destin ‘‘hors du commun’’ ». Poussée à faire des études, Ramatoulaye a pu devenir institutrice, métier qui a fait sa fierté et qu’elle exerce encore, bien qu’ayant eu douze enfants. Consciente des privilèges et devoirs qui incombent aux professeurs, Ramatoulaye sait surtout ce que peut signifier l’élévation par le savoir pour une femme, au Sénégal.

C’est la voix de Mariama Bâ, elle-même devenue institutrice, et ayant milité toute sa vie pour l’éducation des femmes, qui se fait entendre ici.

Une héroïne libre puis sacrifiée

Une si longue lettre est le portrait d’une femme, mais aussi et avant tout le récit d’un vibrant amour qui n’est plus depuis bien longtemps, et que Ramatoulaye ne peut que restituer par les mots. Dans sa jeunesse, Ramatoulaye est tombée amoureuse de Modou. Alors que ses parents la destinaient à un autre, Ramatoulaye a imposé aux siens un gendre dont ils ne voulaient pas.

Malgré les années, les grossesses qui ont déformé son corps, la vaillante Ramatoulaye n’a jamais cessé de travailler, ni de croire en ses rêves, faisant fi des incompréhensions et moqueries de ses belle-mère et belles-sœurs. Elle a ainsi mené, des années durant, une vie ressemblant au bonheur, entre respect des traditions et modernité revendiquée, auprès d’un mari passionnément aimé.

Mais tout s’est écroulé lorsque Modou, après vingt-cinq années de mariage, a choisi de prendre une deuxième épouse, la très jeune et effacée Binetou, une camarade de classe de leur fille Daba. Une si longue lettre est le portrait d’une femme vaillante ayant dû tirer sa révérence, et finalement sacrifiée sur l’autel des traditions musulmanes et de la polygamie.

L’amour, comme moyen d’émancipation

Que ce soit dans Une si longue lettre ou Un chant écarlate, ce qui frappe chez Mariama Bâ, c’est l’importance accordée à l’amour. Le couple y est primordial et la langue, chantante et sensuelle de Mariama Bâ, dit le désir, sa frustration et sa satisfaction, et les jalousies qu’il suscite quand il n’est jamais connu.

Parce que la femme africaine doit se frayer un chemin entre polygamie, lévirat, poids des traditions et de la belle-famille, l’émancipation, pour Mariama Bâ, ne peut se faire qu’à travers l’accomplissement dans l’état amoureux. Par-delà les études, le savoir et l’exercice d’une profession, l’amour est la seule boussole qui permet aux femmes de s’inventer un destin, réel ou imaginaire, et de ne pas mourir totalement asphyxiées dans une société encore trop corsetée :

« Je reste persuadée de l’inévitable et nécessaire complémentarité de l’homme et de la femme. L’amour si imparfait soit-il dans son contenu et dans son expression demeure le joint naturel entre ces deux êtres. »

Le féminisme de Mariama Bâ pourra apparaître muselé ou trop timide. Il est pourtant précurseur, et relève, en 1979, d’une lucidité prophétique, aux accents d’un chant du cygne.

À propos de Sarah Sauquet

Professeure de lettres modernes, Sarah Sauquet est, avec sa mère ingénieure, à l’origine de six applications de littérature classique, parmi lesquelles Un texte Un jour. Intervenante lors du TedxCEWomen en 2013, Sarah est également blogueuse, autrice, et elle donne également des conférences sur les liens entre littérature et marketing. Qu’il s’agisse d’enseigner, d’écrire, ou d’animer une communauté digitale, son travail tourne autour d’un même objectif : celui de susciter l’envie de lire des classiques.

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