L’égalité entre fille et fils devant l’héritage a subi bien des vicissitudes et des régressions mais on ne peut pas dire que l’histoire l’ait ignorée. L’Égypte comme Rome à l’origine le connaissent. Le privilège de masculinité est lié bien sûr à l’image de la femme dans certaines cultures mais lorsqu’il s’impose, c’est comme solution pour conserver les biens dans la famille.

Article par Paule Valois, paru dans le magazine Historia

L’égalité en Égypte

Puisque l’Égyptienne du temps des Pharaons est juridiquement l’égale de l’homme, la fille est par conséquent l’égale du fils : la succession est partagée de façon égale entre les enfants quel que soit leur sexe.

Par ailleurs, il est possible pour un père d’avantager l’un de ses enfants par testament. Une stèle du Caire narre l’histoire de l’un d’eux qui a favorisé sa fille préférée en lui faisant un don s’ajoutant à sa part du partage avec ses frères et sœurs.

La femme peut, en cas de litige, aller jusqu’à traduire son père en justice. Téhénout, par exemple, à la fin du Moyen Empire, porte plainte contre son père parce qu’il a favorisé sa seconde épouse au détriment de ses enfants du premier lit (papyrus n°35146).

Athènes : on « lègue » sa fille

Cet acquis égyptien n’a pas atteint les rivages de la Grèce. À Athènes, les lois de Solon prévoient que l’héritage revienne aux enfants mâles sans même qu’un testament puisse contourner ce principe légal. Les filles ne peuvent avoir qu’une dot versée par leurs frères. Cependant, la loi prévoit, selon l’orateur Isée, qu’ :

« Il est permis de disposer de ses biens comme on le voudra, à moins qu’on ne laisse des enfants mâles légitimes. Si on laisse des filles, il n’est permis de léguer les biens qu’avec les filles. »

Autrement dit, un père pouvait « léguer » sa fille en même temps que des biens, dans le but de rapprocher par mariage les branches d’une famille afin d’y conserver le niveau de richesse. Aristote, par exemple, prévoit que sa fille, nubile à sa mort, sera mariée à un certain Nicanor à qui il confie la gestion de ses biens. On peut dire, de manière générale, qu’une fille peut hériter à condition qu’elle n’ait pas de frère et qu’elle épouse son plus proche parent paternel.

Tradition romaine

Cicéron dénonce Catilina, fresque réalisée entre 1882 et 1888 par Cesare Maccari (1840-1919).

Cicéron dénonce Catilina, fresque réalisée entre 1882 et 1888 par Cesare Maccari (1840-1919).

Il en va autrement à Rome où une tradition italique très ancienne donne aux femmes le droit de succéder à leur père tout autant que leurs frères. C’est ce que prévoit la loi successorale. De plus, en vertu du pouvoir souverain du père de famille à Rome, une fille peut être instituée héritière par testament. Ceci jusqu’à la remise en cause de la loi Voconia de Caton qui nuit aux filles autant qu’aux épouses.

Cicéron (106-43 av. J.-C.) écrit dans La République que cette loi est pleine d’injustice et il insiste sur le devoir des pères envers leurs filles. Comme lui, beaucoup de Romains contestent la loi et ils la contournent de diverses manières. Un certain P. Annius Asellus, par exemple, qui a une fille unique, néglige de s’inscrire sur le rôle des censeurs de manière à instituer sa fille seule héritière.

Égalité franque, inégalité féodale

Il semble qu’en Gaule, fille et fils succèdent à égalité aux biens de leurs deux parents, qu’il s’agisse des propres ou des acquêts. Dans la coutume franque, l’égalité du partage entre tous les enfants peut être établie, mais il faut pour cela une disposition de l’auteur du testament.

Au VIe siècle, la fille est soit dotée du vivant de son père pour être ensuite rappelée lors de la succession (en remettant sa dot dans la somme globale qui sera partagée), soit reçoit une part par testament. Avec l’édit de Chilpéric, de 574, les filles qui succédaient déjà aux biens autres que la terre (selon une interdiction du vieux droit germanique) acquièrent le droit de recevoir des terres, en l’absence de fils.

L’influence italienne

Ensuite, comme l’explique Louis Sizaret1, bien que le privilège de masculinité soit d’une existence douteuse et qu’on trouve des textes défendant les deux thèses jusqu’au XIsiècle, il semble qu’un courant se dessine à l’avantage des garçons. Aux VIIIe et IXe siècles, les populations du sud de la France font un retour en arrière vers l’idée d’infériorité successorale de la femme : on fait son testament pour réduire la part des filles.

L’exclusion des filles mariées et dotées de la succession s’installe ensuite dans les coutumes. Il s’agit, selon Laurent Mayali2, non pas de l’application du droit romain mais d’une influence italienne entre les XIIe et XVe siècles.

Malgré cela, il existe de nombreux exemples de filles héritières. En 990, le vicomte de Béziers lègue à ses filles les évêchés de Béziers et d’Agde qui devaient plus tard leur servir de dot. Raymond Bérenger IV attribue sa succession aux comtés de Provence et de Forcalquier, en 1238, à sa quatrième fille Béatrix, à charge pour elle de dédommager ses trois sœurs (payer la « légitime », c’est-à-dire la partie des biens assurée à chaque enfant par la loi, une idée romaine reprise au XIIIsiècle et qu’on retrouve dans le Code civil sous la notion de « réserve »).

Le droit féodal

C’est le droit féodal qui a déterminé le privilège de masculinité ainsi que le droit d’aînesse. En effet, le titulaire d’un fief doit forcément assurer le service militaire correspondant et l’on en déduit qu’une femme ne peut

Peinture de Vuillard, preintre français

Peinture d’Edouard Vuillard, peintre français (1868 – 1940)

hériter d’un fief. En fonction des diverses coutumes, le fils aîné prend tout l’héritage ou seulement les deux-tiers avec le « chef manoir » (le château principal), le reste étant divisé entre les frères ou sœurs.

Des clauses spéciales sont cependant prévues en cas d’absence de fils : des filles sont alors admises à succéder aux fiefs. Il en va ainsi pour le duché de Bourgogne en 952, le comté de Carcassonne en 1066 ou encore le duché d’Aquitaine en 1187.

Mais ces droits ne concernent bien entendu que les biens nobles. Dans les successions roturières, l’égalité entre héritiers est confirmée par la rédaction de l’ensemble des coutumes territoriales au XVIe siècle : les enfants dotés peuvent éventuellement revenir dans le partage successoral, à condition d’y rapporter la dot.

 

C’est finalement le droit de la Révolution française avec les lois des 17 nivôse en II et 4 germinal an VIII qui rétablit légalement, et pour tous les types de biens, l’égalité successorale entre les enfants.

Lire aussi

La 1re partie de l’article : Héritage : la part du conjoint au regard de l’histoire

Bibliographie 

  • Droit civil, successions. Introduction au droit des successions, Michel Grimaldi, 1989.
  • Les successions, Jacques Flour, Henri Souleau, 1982.
  • Des donations entre vifs et des testaments. Préface. Troplong, 1855.
  • 2 Droit savant et coutumes : l’exclusion des filles dotées, XIIe-XVe siècle, Laurent Mayali, 1987.
  • 1 Essai sur l’histoire de la dévolution successorale ab intestat, du Ve au Xe siècle, dans les pays de l’ancienne Gaule romaine, Louis Sizaret, 1975.
  • La famille dans l’ancien droit, Gabriel Lepointe, 1936.
  • La femme au temps des pharaons, Christiane Desroches Noblecourt, 1986.

À propos de l’autrice

Paule Valois est guide-conférencière professionnelle, historienne, journaliste. Elle propose des visites thématiques, fait découvrir le Paris historique, visible dans l’art de ses monuments et le destin de ses grandes figures, mais aussi l’histoire des Parisiens, et des femmes en particulier, à travers les événements historiques mais aussi la législation et les habitudes de la vie quotidienne.