Deux tiers des femmes estiment avoir été éduquées différemment que les hommes. C’est l’un des nombreux enseignements du 6ème état des lieux du sexisme en France, qui appelle à « s’attaquer aux racines » du problème. Pouvoirs publics, entreprises, société : tous sont attendus pour relever ce défi.

Par Gilles Marchand

« Faisons du sexisme de l’histoire ancienne ! ».

Cette campagne du HCE (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) a été lancée le 25 janvier dernier dans le cadre de la première journée nationale officielle de lutte contre le sexisme. Et si l’on en croit l’effarant état des lieux que cette instance publique a publié à la même période, la route est encore longue avant d’en finir avec cette plaie qui empoisonne la vie de la moitié de la population.

Le rapport met ainsi en évidence trois « incubateurs » de sexisme : la famille, l’école et le numérique. Si certains constats sont connus, c’est leur ampleur qui questionne : à peine 4 % des femmes ont eu des jouets voitures pendant leur enfance ; trois quarts n’ont jamais pensé à une profession scientifique ou technique ; elles sont aussi nombreuses à considérer ne pas être traitées à égalité en ligne. 

Rapport annuel 2024 sur l'état du sexisme en France.

Un essor inquiétant du sexisme chez les jeunes

Mais ce qui est le plus alarmant est sans doute la prégnance du sexisme dans plusieurs catégories de population – et pas nécessairement celles qui viendraient immédiatement à l’esprit. Signe d’un retour aux valeurs traditionnelles, un tiers des femmes estime normal de s’arrêter de travailler pour s’occuper des enfants (+7 points en un an). 

Du côté des hommes, plus d’un sur trois considère le féminisme comme une menace de leur sexe. Par ailleurs 70 % pensent encore qu’un homme doit avoir la responsabilité financière de sa famille pour être respecté dans la société. Et cette vision sexiste n’est pas l’apanage des seniors : parmi les 25-34 ans, plus d’un homme sur cinq trouve normal de gagner plus que sa collègue. 

Les réseaux sociaux, caisse de résonnance des « masculinistes »

Ces résultats trouvent un large écho aujourd’hui sur les réseaux sociaux, où les stéréotypes de genre connaissent un nouveau souffle. On le voit avec les comptes d’influenceurs « masculinistes », dont les conseils et coachings bénéficient d’une grande visibilité. Comme le révèle la journaliste Pauline Ferrari, qui a publié son enquête en novembre dernier (Formés à la haine des femmes, 2023, éditions J-C. Lattès), ils savent tirer parti du fonctionnement des algorithmes des plateformes et contourner les règles de modération, renforçant ainsi la caisse de résonnance que représentent les réseaux sociaux pour propager leur discours.

#tradwife : le succès d’une vision idéalisée des années 50

Plus inquiétant encore : des femmes sont à l’origine de la remise en avant de valeurs traditionnelles, participant ainsi à la culture sexiste. Comme le titre Télérama, les « bons vieux diktats » sont ainsi « rabâchés à l’envi sur TikTok et Instagram ». Prônant un retour à des rôles sociaux qui associent la femme à la séduction et à la beauté, mais aussi au foyer, à la maternité, au fait d’être au service de son époux et de ses enfants, de jeunes influenceuses sont particulièrement suivies, en France (par exemple Carmel Assak, avec 600 000 abonnés) comme à l’étranger. Aux Etats-Unis, en particulier, la tendance #tradwife (« épouse traditionnelle ») remet au goût du jour une esthétique et un fonctionnement social directement ancrés dans l’american way of life des années 50, avec ses « stars » comme Estee Williams.

 

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Estee Williams (@esteecwilliams)

 

Une logique d’endoctrinement à l’idéologie misogyne et réactionnaire

Au-delà de cette vision totalement clichée, la tendance véhicule des propos non seulement sexistes mais aussi potentiellement dangereux, comme autour de l’IGV.

« On peut tomber sur des contenus qui parlent de choses inexactes médicalement. Par exemple, la souffrance fœtale. On peut aussi tomber sur des contenus qui promeuvent des modes de santé alternatifs comme des contraceptions. Ce sont des contenus qui visent à dissuader les femmes, qui cherchent des informations sur l’avortement, d’avorter »,

alerte Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des Femmes. Derrière cette image lisse, le mouvement tradewife vise ainsi à véhiculer des idées misogynes et réactionnaires, à destination des plus jeunes.

Eduquer, réguler, sanctionner : trois leviers pour lutter contre le sexisme

Ce renforcement des thèses et propos sexistes a de quoi inquiéter. Difficile de ne pas faire le lien avec les régimes populistes qui, ces dernières années, ont remis en question des droits fondamentaux et l’égalité entre femmes et hommes – les Etats-Unis de Trump, le Brésil de Bolsonaro, la Hongrie d’Orban, pour ne citer qu’eux… 

Le sixième état des lieux du sexisme en France arrive donc à point nommé pour nous inciter à davantage de vigilance face à ces tendances nauséabondes. Une bonne nouvelle se dégage heureusement du rapport du HCE : une meilleure prise de conscience, dans la population générale, des violences sexistes et sexuelles, et une moindre tolérance à leur égard. Il est donc temps d’agir, pour mieux éduquer les jeunes aux principes d’égalité entre les sexes, pour enfin réguler les réseaux sociaux, et pour sanctionner les comportements sexistes. 

 

Lire aussi