Qu’y a-t-il de commun entre un T-shirt Dior à message féministe et une Barbie à l’effigie de Frida Kahlo ? Entre une pub pour du gel douche Dove ou des serviettes hygiéniques Always ? Entre deux multinationales qui affirment donner leur chance aux femmes dans leurs communiqués… alors qu’elles sont poursuivies aux prud’hommes pour discriminations sexistes ? Le féminisme washing ! C’est ce faux engagement que Léa Lejeune dénonce dans son ouvrage Féminisme washing : quand les entreprises récupèrent la cause des femmes… et que nous déplorons tout autant au sein de l’Association Française du Féminisme. Nous avons donc demandé à notre autrice maison, Sarah Sauquet, de le décrypter pour vous.

Par Sarah Sauquet

« Après être devenues féministes par opportunisme, elles le deviendront par conviction ; et je suis sûre que bientôt elles s’imagineront très sincèrement avoir défendu l’idée au lieu de se laisser remorquer par elles. »
Adrienne Avril de Sainte-Croix (1855-1939)

De quoi notre féminisme est-il le nom ?

S’il est devenu aujourd’hui une évidence pour nombre d’entre nous de se dire et de se revendiquer féministes, rappelons que la chose était beaucoup moins évidente il y a encore trois ou cinq ans de cela. L’actuelle vague féministe que nous connaissons est telle que la mode, les marques, les média et les publicitaires se sont aujourd’hui emparés du féminisme, et en ont fait un phénomène de mode.

Qui, parmi nous, n’a d’ailleurs jamais été tenté par l’achat d’un objet à l’effigie de Frida Kahlo – devenue furieusement tendance – ou d’un t-shirt à message féministe pour se convaincre, ou convaincre tout un chacun, qu’il adhérait à la cause ?

Qu’est-ce que le féminisme washing

Les marques l’ont bien compris : plus que la Chine ou que l’Inde, les femmes sont le marché à conquérir d’aujourd’hui et de demain. La sincérité et la transparence des pratiques féministes, l’honnêteté́ intellectuelle avec laquelle les marques et les célébrités s’engagent, voilà ce que dissèque Léa Lejeune dans son édifiant, savoureux et très documenté essai publié au Seuil, Féminisme washing.

Le féminisme washing est cette posture qui consiste à adopter un positionnement féministe de façade.

La démarche de Léa Lejeune

Avec une grande rigueur qui n’exclut ni la bienveillance, ni la mansuétude, cette enquête qui relève du journalisme d’investigation explore les dessous et les motivations parfois peu avouables de marques, des agences, des médias, et des initiatives diverses et variées. Il y est question d’oppositions et de tiraillements entre authenticité et visibilité, récupération et tendances de fond, valeurs prôné́es et engagements non tenus.

Scindé de façon habile et logique en deux parties (« Du côté des consommatrices » puis « Du côté des entreprises »), l’ouvrage aborde de très nombreux domaines qui nous font ouvrir sur les yeux sur l’ampleur du féminisme washing, portant aussi bien sur la production et les discours extérieurs que sur le fonctionnement interne des entreprises.

Des pratiques individuelles à un alignement collectif

Toujours pertinent et souvent savoureux, riche en révélations qui nous feront nécessairement revoir nos échelles de valeur, l’essai nous met face à nos responsabilités et nous rappelle que l’exemplarité est une des valeurs-clés avec laquelle les entreprises vont devoir désormais composer pour survivre.

Enfin et surtout, en nous proposant des solutions concrètes et à notre portée, Léa Lejeune nous rappelle que c’est par des pratiques individuelles fondées sur une vigilance qui peut et doit devenir systématique (boycott, lecture d’enquêtes, recours aux applications, etc.) que nous pourrons faire bouger les lignes, et contraindre les entreprises à adopter un véritable engagement féministe.

Notre alignement, c’est de cela dont il est bel et bien question dans ce livre d’une brûlante actualité !

Léa Lejeune, Féminisme washing : quand les entreprises récupèrent la cause des femmes Éditeur : Le Seuil (4 mars 2021) Broché, 256 pages, 29 euros

 

À propos de Sarah Sauquet

Professeure de lettres modernes, Sarah Sauquet est, avec sa mère ingénieure, à l’origine de six applications de littérature classique, parmi lesquelles Un texte Un jour. Intervenante lors du TedxCEWomen en 2013, Sarah est également blogueuse, autrice, et elle donne également des conférences sur les liens entre littérature et marketing. Qu’il s’agisse d’enseigner, d’écrire, ou d’animer une communauté digitale, son travail tourne autour d’un même objectif : celui de susciter l’envie de lire des classiques.

 

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