C’est historique. Le lundi 04 mars 2024, la France est devenue le premier pays au monde à inscrire l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, marquant ainsi une avancée majeure dans la lutte en faveur des droits des femmes. Le moment idéal pour aller voir « Interruption », une pièce de théâtre très engagée.
Par Violaine Cherrier
Simple hasard ou timing parfait ? Quoi qu’il en soit, il était difficile de trouver un moment plus en phase avec l’actualité pour présenter « Interruption », l’adaptation théâtrale de l’enquête réalisée par Sandra Vizzavona sur l’avortement. Un sujet qui, bien qu’il fasse la Une en ce début du mois de mars, reste encore trop souvent tabou dans la société et dans les familles.
L’avortement par celles qui l’ont vécu !
Avant d’être adaptée au théâtre, « Interruption » est avant tout un texte très fort rédigé sur la base d’un recueil de témoignages de femmes de tous milieux, origines et générations ayant eu recours à l’IVG. Les entretiens ont été réalisés par Sandra Vizzavona, avocate en droit du travail inscrite au Barreau de Paris, qui, en février 2021, publie chez Stock son premier livre, Interruption, mêlant sa propre expérience à celle d’autres femmes.
L’œuvre littéraire prend ainsi vie sur la scène du théâtre Antoine, mise en scène par Hannah Levin Seiderman et interprétée par trois comédiennes : Pascale Arbillot (qui a aussi participé à l’adaptation théâtrale avec l’auteure et la metteuse en scène), Kenza Lagnaoui et Sandra Codreanu en alternance avec Elsa Guedj.
Un trio dont il faut saluer l’interprétation, très juste et très forte en même temps, et qui parvient à évoquer « tout en légèreté » un sujet sérieux voire empreint de gravité sans jamais le prendre à la légère.
On doit également cette réussite à la mise en scène in medias res.Les nombreux témoignages audio et visuels qui accompagnent la narration à la première personne du singulier plongent en effet le spectateur véritablement au cœur du sujet, ne sachant plus où se situe la part de fiction et ce qui relève de la réalité, qui est comédienne et qui ne l’est pas.
50 ans de lutte en faveur de l’IVG en 60 minutes
Dès l’entrée dans la salle du superbe théâtre Antoine (dont le bar notamment est classé aux monuments historiques), avant même le début du spectacle, le décor est planté et met immédiatement le spectateur dans « l’ambiance ». Sur la scène, projeté sur un écran, le texte suivant nous rappelle à quel point l’IVG (et à travers elle le droit des femmes à disposer de leur corps et à disposer de droits tout court) était (et reste dans certains pays) loin d’être acquise :
« Le 29 novembre 1974,
À l’issue de 25 heures de débat historique, l’Assemblée Nationale adopte en première lecture le projet de loi Veil, qui dépénalise l’avortement avant la dixième semaine de grossesse.
Le texte est adopté pour une durée provisoire de cinq ans avec 284 voix ‘‘pour’’ et 189 vois ‘‘contre’’. »
Tout est dit, mais l’heure qui suit (le temps de la représentation) est impossible à décrire dans un article. Elle se vit. Elle nous imprègne. Elle nous percute. Mais elle nous fait du bien aussi.
Vous l’aurez compris, à la rédaction de l’Association Française du Féminisme, on a adoré. On a écouté. On a été touché. On a été ému. On a pleuré aussi. On a même souri voire ri. Bref, on a vibré et on ne peut que vous le recommander.
La pièce se joue le vendredi 8 mars et le samedi 9 mars à 19h :
Réservez vos places pour Interruption.
L’IVG dans le monde : loin de l’égalité
Bien que la pièce colle à l’actualité, il est plus que jamais important de rappeler que toutes les femmes dans le monde ne sont pas à égalité au regard de leur droit à avorter. Certains chiffres projetés à la toute fin de la pièce interpellent, voire peuvent glacer.
En témoignent les chiffres donnés sur le site gouvernemental dédié à l’IVG :
- On estime à 73 millions le nombre d’IVG pratiquées chaque année dans le monde.
- L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 45% de ces IVG ne sont pas sécurisées, c’est-à-dire effectuées dans de mauvaises conditions, qui sont en grande majorité liées à son interdiction.
- Un tiers des avortements non sécurisés sont pratiqués par des personnes ne disposant pas de la formation adéquate et ayant recours à des méthodes dangereuses.
- L’OMS estime que 4,7% à 13,2% de tous les décès maternels annuels sont attribués à des avortements non sécurisés, soit près de 39 000 décès.
- 7 millions de femmes sont hospitalisées chaque année pour des complications dues à un avortement non sécurisé, dans les pays en développement.
Et toutes les femmes sont concernées. Ainsi, dans certains pays « développés », le droit des femmes à disposer de leur corps n’est toujours pas garanti ou régresse :
- 67% des gynécologues italiens refusent de pratiquer l’avortement en tant qu’objecteurs de conscience (selon les derniers chiffres du ministère de la Santé datant de 2019). Ce chiffre monte à 80% dans cinq des vingt régions italiennes.
- Après la décision de la Cour suprême du 24 juin 2022, quatorze États américains ont interdit l’interruption volontaire de grossesse sur leur territoire.
- Au Japon, les femmes ne peuvent toujours pas avorter à l’aide d’une pilule abortive sans l’accord de leur conjoint !
Et, à quelques jours à peine du 8 mars et de la Journée internationale des droits des femmes, de résonner en nous, la citation de Simone de Beauvoir :
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante. »
Merci Sandra Vizzavona, Hannah Levin Seiderman et Pascale Arbillot de nous le rappeler avec autant de brio.
Crédit photo : ©Violaine Cherrier.