Connaissez-vous Félicité de Genlis ? Née dans une famille de la noblesse d’épée, Stéphanie Félicité du Crest doit composer très jeune avec un revers de fortune. Érudite, ambitieuse et débrouillarde, Félicité profite de l’entregent maternel pour fréquenter les salons des grands financiers de l’époque. À dix-sept ans, elle épouse le comte de Genlis qui lui assure une position dans le monde et n’interférera jamais dans les projets de son épouse. Elle est présentée à la cour de Louis XV, deux ans après son mariage, et sa trajectoire sera dès lors étonnante.

Par Sarah Sauquet

Chargée de l’éducation du futur roi Louis-Philippe qui l’adore, Félicité de Genlis se fait connaître par ses principes sur l’éducation et plus de 130 ouvrages littéraires. Elle fréquente Rousseau et Voltaire, se lie d’amitié avec Bernardin de Saint-Pierre, Talleyrand, ou Juliette Récamier pour ne citer qu’eux, et devient espionne de Bonaparte. Elle meurt à l’âge de 84 ans, à temps pour voir celui qu’elle avait élevé, et qui l’adorait, devenir roi des Français.

Extrait de La femme auteur

« La femme auteur » est une nouvelle dans laquelle on suit le parcours de deux sœurs, Dorothée et Nathalie. Alors que Dorothée se conforme à ce que la société attend d’elle, en tant que femme, Nathalie, âgée de vingt-deux ans, rêve de devenir écrivain.

Malgré les réticences de son entourage, Nathalie publie un premier ouvrage qui est un succès. Mais ce succès n’est pas sans gêner son amant Germeuil, qui se sent désormais menacé.

Extrait :

« Nathalie attendait Germeuil avec la plus vive impatience ; elle pensait que la gloire qu’elle venait d’acquérir augmenterait son amour ; elle se trompait. Germeuil fut flatté du succès brillant de celle dont il était adoré ; il l’admira davantage, mais elle devint pour lui une autre femme, et elle y perdit. Ce n’était plus pour Germeuil cette Nathalie, à la fois ingénue et piquante, dont les saillies l’amusaient, et dont il aimait tant le naturel et la gaîté ;elle n’avait point changé ; elle était toujours la même, mais il ne la voyait plus avec les mêmes yeux. Il lui supposait un orgueil qu’elle n’eut jamais. Sa douceur et sa simplicité ne lui paraissaient plus que de la condescendance ; il lui semblait qu’en s’élevant elle s’était éloignée de lui, car il était toujours resté à la même place, et elle avait abandonné la sienne par un essor rapide. Son imagination ne la lui offrait plus sous les traits charmants qui font naître l’amour. On ne se représente point les grâces fixées près d’un bureau, veillant et méditant dans le calme des nuits ; c’est une branche de roses qui doit parer la beauté, une couronne de laurier la vieillit. Oui, disait Germeuil à Nathalie, je jouis de vos succès ; mais ne vous reprochez-vous point de prodiguer à l’univers des talents dont l’amour s’enorgueillissait davantage encore, lorsqu’il en jouissait seul ? Quoi ! tout le monde à présent vous connaît comme moi ! N’est-ce pas une sorte d’infidélité dont votre amant aurait le droit de se plaindre ? Quoi ! ces sentiments si tendres, si délicats, dont l’expression faisait mon bonheur dans vos lettres, je les retrouve dans vos ouvrages ! »

Félicité de Genlis, « La femme auteur », Nouveaux contes moraux, et nouvelles historiques, 1802

À propos de l’autrice

Professeure de lettres modernes, Sarah Sauquet est, avec sa mère ingénieure, à l’origine de six applications de littérature classique, parmi lesquelles Un texte Un jour. Intervenante lors du TedxCEWomen en 2013, Sarah est également blogueuse, autrice, et elle donne également des conférences sur les liens entre littérature et marketing. Qu’il s’agisse d’enseigner, d’écrire, ou d’animer une communauté digitale, son travail tourne autour d’un même objectif : celui de susciter l’envie de lire des classiques.

Portrait : Félicité de Genlis par Adélaïde Labille-Guiard.